Les Ae 4/7 des CFF quittent la scène

Retirés progressivement du service à partir de la fin des années 70, ces engins rustiques, apparus en 1927, voient leur carrière s’achever cette année. Les 127 machines de la série auront parcouru au total quelques 850 millions de km.

Texte et photos : Bernard Collardey – Rail Passion & La Vie du Rail.
Extrait de la revue Rail Passion n°12 de novembre 1996.

Train régional en gare de Rorschach

L’exercice 1996 sera fatal pour la famille des machines électriques Ae 4/7 des CFF, dont l'amortisse- ment avait débuté à rythme lent voici 17 ans. Retirées du service commercial au service d'été, à l'exception de neuf conservées pour le trafic saisonnier des betteraves, cet automne, sur le 1er arrondissement, ces machines d'un autre âge auront largement répondu aux espoirs mis en elles par les pionniers de la traction électrique helvétique, voici 70 ans. Fortement décriées ces dernières années par le personnel de conduite, qui n'appréciait plus le confort médiéval des cabines, souvent encombrées de glace et d'eau, où il fallait se tenir debout au pupitre, situé du reste à droite, elles ont vu leur retrait s'accélérer avec la livraison des très modernes Re 460, qui ont permis leur remplacement en cascade. Mais revenons à leur genèse et à leur carrière exceptionnellement longue, pendant laquelle elles auront accumulé la bagatelle de 850 millions de km, la palme revenant à la 10939 avec 8'200’000 km. Ce chiffre plus qu'honorable est comparable aux résultats des machines SNCF des séries CC 6500, 7100, BB 9200, 16000, qui, elles, sont beaucoup plus jeunes mais ont pu tourner sur un bien plus vaste territoire. Au cours des années 1920, les chemins de fer suisses électrifient leur réseau à outrance, exploitant pour cela les ressources hydrologiques de leur pays montagneux. Après l’expérience sans lendemain du courant triphasé ayant à l'origine équipé les rampes du Gothard et du Simplon, le choix du courant monophasé 15 kV - 16 2/3 Hz prévaut définitivement. Au début de la décennie, avec la progression de la caténaire sur les grands axes, sont acquis différents types de machines, dont l'évolution technique est en pleine ascension. Voient ainsi le jour des 1C1 (Ae 3/5) puis des 2C1 regroupant trois catégories (Ae 3/6 I, II, III). En 1927, la toile d'araignée électrique est alors présente de Bâle à Zurich, Lucerne, Berne, Neuchâtel, Lausanne, Genève, sur les lignes à caractère international du Gothard, de Vallorbe à Brigue, par le Valais, ainsi qu'en Suisse orientale de Zurich à Saint-Gall, Buchs, Lucerne. L’année suivante, elle s'étend encore, touchant alors Schaffhouse, Coire, Romanshorn, Sankt-Margrethen. Vu l’accroissement des charges et du trafic, un besoin pressant en machines de ligne plus puissantes se fait jour et donne naissance au type Ae 4/7, à configuration d'essieux 2D1 avec transmission Büchli. Avec 127 unités mises en service de 1927 à 1934, cette série est produite selon trois versions ayant comme point commun la partie mécanique, confiée à la firme SLM. L'équipement électrique divergeant selon les lots, attribués à différents constructeurs :

  • Les 10901-10938, 10952- 10972, 11003-11008, 11018- 11027, émanent de chez Brown Boveri et Oerlikon (BBC-MFO).
  • Les 10973-11002 sortent de chez Oerlíkon (MFO), avec freinage électrique par récupération.
  • Les 10939-10931, 11009- 11017, fabriquées par les ateliers de Sécheron à Genève (SAAS), sont dotées d'un appareillage à contacteurs. Leurs caractéristiques sont les suivantes :
  • Longueur totale : 16,76 m (17,10 m pour les Oerlikon).
  • Diamètre des quatre roues motrices : 1,61 m.
  • Diamètre des bogies et bissels : 0,95 m.
  • Masse totale et adhérente : 118 et 77 t (123 et 79 t pour les Oerlikon).
  • Puissance et vitesse limite : 2 300 kW et 100 km/h.

Carrière des locomotives Ae 4/7 CFF

Affectées à l'origine dans les grands dépôts du réseau (Bâle, Zurich, Berne et Lausanne), les Ae 4/7 font montre de leurs capacités à tracter des trains lourds sur les itinéraires moyennement accidentés. Leur puissance, supérieure de près de 800 kW par rapport aux Ae 3/5, 3/6, est mise à profit pour la traction des trains directs de voyageurs et fret sur tout le réseau, qu'elles quadrillent de long en large. Dès 1930, ce sont elles qui prennent en charge la majeure partie des trains de toute nature entre Brigue et Domodossola, suite à la reconversion de l'alimentation en 15 kV du Simplon. Dans l’immédiat après-guerre, alors que les nouvelles petites et véloces Re 4/4 I de type unifié (Rail Passion n° 9) leur font du tort en régime voyageurs grâce à leur limite à 123 km/h, les 30 Oerlikon vont être affectées au trafic marchandises de l’axe nord-sud entre Bâle et Chiasso en double traction, pour renforcer le parc spécifique du Gothard, comprenant notamment les monstres Ae 8/14, les Ae 4/6, Be 4/6, Ce 6/8. Avec l'arrivée des nouvelles et puissantes Ae 6/6, à partir de 1955, elles deviennent là sans intérêt, comme sur le Simplon, et sont réutilisées sur les lignes à mauvais profil du Jura et du plateau, désormais toutes électrifiées. De 1964 à 1969, les 22 machines Sécheron sont améliorées par les soins de l'atelier principal de Zurich, chargé de leur grand entretien. A cette occasion, des persiennes latérales ont été ajoutées sur l’une des faces, un des pantographes supprimé sur certaines, et elles ont reçu le dispositif de marche en commande multiple. Ce qui a permis de les utiliser en tête de trains lourds entre Lausanne et Zurich, soit par le pied du Jura via Bienne soit par le plateau via Berne. A l’issue de cette modernisation, la série, toujours au complet, est ventilée, au 1er juin 1969, dans cinq dépôts comme suit, avec relatif mélange des machines des trois versions, BBC, MFO et SAAS :

  • 37 à Lausanne, 10960- 10962, 10973-10991, 11003- 11017.
  • 21 à Berne, 10939-10959.
  • 9 à Bâle, 10963-10971.
  • 49 à Zurich, 10901-10938, 10972, 11018-11027.
  • 11 à Lucerne, 10992-11002.

A cette époque, les Ae 4/7 sont à la tâche sur toutes les lignes principales et secondaires CFF, exception faite du Gothard, avec forte prédisposition pour les trains de fret et dessertes locales. En sus, elles assurent sur diverses sections des trains régionaux de voyageurs à arrêts fréquents. Il n'est alors pas rare d'en voir aussi sur des trains spéciaux de voyageurs, ainsi que, 1"hiver, sur des convois lourds supplémentaires acheminant des skieurs venant de France au départ de Delle, Les Verrières et Vallorbe vers l'Oberland et le Valais. Leur transit occasionnel par les lignes des réseaux privés du BN (Berne-Neuchâtel) et du BLS (Berne-Lötschberg-Simplon) n’est également pas rare. Par la suite, la réception des locomotives modernes Re 4/4 II, puis Re 6/6, à compter de 1975, entraîne un bouleversement des affectations. Au service du 22 mai 1977, par exemple, les 126 machines à 1'effectif (la 10906 a été réformée la première, en 1975, suite à accident) sont désormais réparties entre les dépôts de :

  • Lausanne (18), 10973- 10990
  • Berne (32), 10952-10961, 10939-10951, 11009-11017
  • Olten (26), 10962-10969, 10991-11001, 11003-11008
  • Rorschach (50) 10901- 10905, 10907-10938, 10970- 10972, 11018-11027.

Leur activité reste d'un haut niveau, avec, respectivement, 17, 23, 22 et 43 tours (journées de service) alloués régulièrement, soit 83 % du parc. Par la suite, cette répartition géographique entre les quatre dépôts précités, appartenant aux arrondissements de Lausanne, pour les deux premiers, Lucerne et Zurich, ne va plus subir de modifications. Seul va décroître progressivement le nombre d'engins à disposition, les mises au rebut portant sur les machines avariées ou en mauvais état général, cas des 10965, en 1979, 10917, 11013, en 1981, 10918, en 1982,10953,10977,10989, en 1983, 10973, 10975, 10981, 10983, 10985, BD 1984. La réduction d'effectifs s'intensifie d'année en année. En juin 1991, il en reste encore 105 à l'inventaire, dont 19 à commande multiple type Sécheron concentrées à Berne. Le nombre de tours journaliers s'établit alors à 84, permettant à la série d'être encore présente un peu partout de Bâle à Sankt-Margrethen, Schaffhouse, Coire, de Vallorbe à Brigue et de Bienne à Lucerne, avec des trains de fret et postaux. Avec la livraison des puissantes 460, le parc Ae 4/7 va subir des ponctions graves au fur et à mesure de l'épuisement des parcours de révision. Leur ultime utilisation, du reste des plus réduites, avec des trains de voyageurs régionaux, cesse en 1994, notamment sur les lignes du Valais et de la vallée du Linthal entre Ziegelbrücke et Glaris. Les tournées des Sécheron en commande multiple sont arrêtées à leur tour au service d'été 1995. Leurs dernières courses sous cette forme avaient concerné des trains directs entre les triages de Genève La Praille, Bienne, Olten, Zurich, Bâle, sur Lausanne, ainsi que de Lausanne à Sion, Saint-Maurice, et de Bienne à Thun. À ce stade, il subsiste 43 machines, réparties à raison de trois à Lausanne (10987, 10998, 10999), 12 à Berne (10939, 10942-10944, 10947 -10951, 11010, 11015, 11017), 11 à Olten (10904, 10916, 10954, 10958, 10961, 10963, 10997, 11000-11003), 14 à Rorschach (10902, 10908, 10911-10914, 10919,10922, 10923, 11018, 11019,11022, 11025, 11026) et trois à Bâle (11004, 11005 11007). Si ces dernières sont employées aux seules remontes voyageurs entre le faisceau de remisage et la gare centrale (1), les autres n'assurent plus que 20 tours de service fret et postaux sur de petits parcours en Suisse occidentale et centrale, zones de Neuchâtel, Bienne, Delémont, Olten, Lucerne, Zurich, et orientale, dans le périmètre Schaffhouse - Romanshorn – Sankt-Margrethen - Buchs - Coire - Saint-Gall. Occasionnellement, des courses facultatives peuvent leur être allouées sur ordre des permanences des trois arrondissements. De mois en mois, leur nombre s'amenuise, ce qui leur vaut leur exclusion totale du trafic commercial, le 12 avril, avec les 10987 et 11017, sur des trains terminant à Bienne. Neuf d'entre elles, du type Sécheron, les 10939, 10943, 10948-10951, 11010, 11015, 11017, sont cependant conservées en bon état jusqu'en fin d'année pour couvrir la campagne des betteraves, donnant lieu sur le 1°' arrondissement à un courant important de trains convergeant de Lausanne, Yverdon, Payerne, vers la grosse sucrerie d'Aarberg, près de Lyss. Au terme de leur carrière, ces engins hors d'âge, rustiques mais non moins efficaces, laisseront aux cheminots suisses, comme leurs sœurs, les Ae 3/6, ici éliminées en 1994, un souvenir impérissable. Leur silhouette démodée, avec leurs capots d'extrémité et leur livrée d’un austère vert foncé, rappelant celle des 2D2 501-537, 701-704, du PO, a donc cessé de se profiler sur fond de montagnes et de lacs. Toutefois, deux unités sont préservées : la 10976 Oerlikon, remise en état d'origine par l'atelier de Zurich, et la 10905 BBC. Rappelons que trois machines ont été utilisées à poste fixe pour le préchauffage électrique des rames voyageurs, après leur amortissement, cas des 10977 à Rapperswil, 10989 à Bâle et 10983 à Lausanne. Seule cette dernière assume encore pour l'instant cette fonction peu glorieuse.

Locomotive servant au préchauffage des rames voyageurs

  • Cette fonction a été reprise récemment par des Re 4/4 I